Le Virus Des Libertés
Association d’avocats et juristes
Case postale 129
1092 Lutry
www.levirusdeslibertes.ch
Recommandé
A l’att. des
Conseillers fédéraux
Monsieur Guy Parmelin, Président
Madame Viola Amherd
Madame Simonetta Sommaruga
Monsieur Ignazio Cassis
Monsieur Ueli Maurer
Monsieur Alain Berset
Madame Karin Keller-Sutter
A l’att. de Monsieur
Walter Thurnherr, Chancelier
Gurtengasse 5
3011 Berne
Lutry, le 27 mai 2021
Lettre ouverte : droits fondamentaux et passeport vaccinal
Mesdames et Messieurs les Conseillères et Conseillers fédéraux,
Nous souhaitons vous faire part de notre vive inquiétude concernant la violation des droits
fondamentaux des citoyennes et citoyens suisses face aux normes légales, qui se profilent à
l’horizon.
En effet, dans la Loi Covid-191 plusieurs articles permettront des restrictions inadmissibles non
seulement aux libertés des citoyennes et citoyens suisses mais encore des discriminations
choquantes dans la démocratie et l’État de droit qui est le nôtre.
Généralités
Ainsi, la Loi Covid-19 permettra à la Confédération d’établir notamment un système de traçage
de contacts fonctionnant dans tout le territoire suisse2 et laissera carte blanche au Conseil fédéral
pour que ce dernier établisse un passeport vaccinal3.
Aussi, depuis plusieurs semaines déjà, nous nous alarmons de lire et d’entendre certains propos
non seulement dans les médias mais également dans les milieux politiques qui font référence aux
1 A savoir la Loi fédérales sur les bases légales des ordonnances du Conseil fédéral visant à surmonter l’épidémie de
COVID-19, du 25 septembre 2020, état le 1er avril 2021 (ci-après « Loi Covid-19 »).
2 Art. 3b Loi Covid-19. Ce système est dit « système TTIQ » soit intégrant les informations relatives aux Test, au
Traçage, à l’Isolement et à la Quarantaine ».
3 Art. 6a Loi Covid-19.
2
divers privilèges dont les personnes vaccinées pourraient disposer en
présentant le fameux passeport vaccinal, qui lui-même servirait très
vraisemblablement de système de traçage donnant ainsi le feu vert pour que
tout un chacun puisse par exemple accéder à un restaurant, se rendre au
théâtre ou encore voyager.
Or, si le traçage des contacts entraîne déjà de nombreuses questions en lien avec la liberté
personnelle et la protection des données, le passeport vaccinal nous interpelle de manière encore
plus préoccupante quant à l’avenir de la société que nous envisageons pour notre pays.
Il n’échappe pas à notre sagacité de réaliser que deux catégories de citoyens verraient le jour
dans notre cher pays, lequel après avoir échappé tant bien que mal aux dérives et discriminations
stigmatisantes de la deuxième guerre mondiale, y sombrerait donc en 2021 !? La mémoire des
hommes est courte (!), quelques-uns se rappelleront que durant les années ’50 et ‘60 des
ressortissants de pays voisins étaient parfois interdits de restaurants ou de bars en sol
helvétique4 !
Interdiction de toute discrimination (8 Cst.)
Ainsi, nous sommes stupéfaits de lire que s’il est juridiquement impossible de discriminer les
personnes non vaccinées pour ce qui relève des services publics, cela se révèle tout à fait possible
pour ce qui est du domaine privé5. A ce sujet, sont cités comme étant des lieux relevant du
domaine privé, les coiffeurs, les compagnies aériennes, les restaurants6.
Or, au titre de l’interdiction de discriminer prévue par l’article 8 de la Constitution fédérale de la
Confédération suisse (Cst), certains lieux et services privés sont pourtant considérés comme des
lieux publics dans lesquels les privés ne peuvent et ne doivent pas être discriminés.
Le certificat de vaccination, dit aussi certificat sanitaire, passeport vaccinal ou (hypocritement)
passeport vert attesterait, sous forme papier ou, de manière prévisible, sous forme électronique,
qu’une personne a été vaccinée contre la Covid-19. Au moyen d’une application sur téléphone
portable, la personne vaccinée pourrait le prouver instantanément, ce que ne pourrait pas faire la
personne qui a choisi de ne pas se faire vacciner. Cette dernière subirait des conséquences
graves dans son autonomie et sa liberté individuelle si, comme cela est malheureusement à
craindre, l’accès à certains services publics ou privés lui était refusé pour défaut de vaccination.
Ainsi sur le plan de la loi, l’Assemblée fédérale a chargé le Conseil fédéral de définir « les
exigences applicables au document (certificat sanitaire) prouvant que son titulaire a été vacciné
contre la Covid-19, qu’il est guéri ou qu’il dispose d’un résultat de test du dépistage de la Covid-
19 »7. Ce certificat « d’authenticité » est conçu pour « être utilisé par son détenteur pour entrer
dans d’autres pays et en sortir »8. Aucune autre utilisation n’est indiquée dans cette disposition
4 Voir notamment le livre Des Ritals en terre romande, de l’auteur Raymond Durous, Éditions de l’Aire, mars 2012 cité
dans l’article https://www.swissinfo.ch/fre/-interdit-aux-chiens-et-aux-italiens-/8998380 .
5 Voir par exemple le téléjournal de RTS info de 19h30 du 9 avril 2021 et l’article paru sur le site
https://www.rts.ch/info/suisse/12109867-les-autotests-de-mauvais-outils-de-depistage-selon-certains-experts.html .
6 Ibid.
7 Art. 6a de la LF du 19 mars 2021 modifiant la Loi Covid-19 du 25 septembre 2020, RS 818 102.
8 Art. 6a al. 3 Loi Covid-19, état au 1er avril 2021.
3
légale. Toute extension de cette utilisation dépasse donc le mandat donné
par la loi au Conseil fédéral.
Au regard des droits fondamentaux, une discrimination entre les
personnes vaccinées et les personnes non vaccinées pour l’accès à certains services
publics (hôpitaux, cliniques, services de santé, transport, administrations, poste, bibliothèques,
lieux culturels et de sport publics ou privés subventionnés, lieux de culte des églises officielles
reconnues, etc.) serait inadmissible. Le droit à la non-discrimination est en effet un droit
fondamental garanti tant par l’article 14 CEDH que par l’article 8 al. 2 de la Cst. Ce droit ne peut
être restreint par l’autorité étatique qu’aux conditions strictes de l’article 36 Cst (base légale, intérêt
public, proportionnalité) dont aucune n’est réalisée dans le contexte Covid-19.
S’agissant de l’accès à certains services privés (commerces d’alimentation et d’objets usuels de
la vie quotidienne, librairies, boutiques, lieux de restauration et de délassement, hôtels, galeries
d’art, etc.), le principe de non-discrimination doit également être respecté en vertu de l’article 35
al. 3 Cst qui en étend l’application « dans les relations qui lient les particuliers entre eux ».
Toute restriction d’accès aux services publics et privés fondée sur le certificat sanitaire émis par
la Confédération serait donc absolument contraire au droit fondamental et inaliénable à ne pas
subir de discrimination.
Ce projet de passeport vaccinal est anticonstitutionnel. Afin d’éviter toute dérive liberticide, il
faut impérativement y renoncer.
Disproportion entre le but et la mesure (art. 36 Cst.)
Si le vaccin protège efficacement, comme les autorités et les fabricants le prétendent9, ceux qui
l’ont reçu ne devront pas craindre de se retrouver en présence ou à proximité de personnes non
vaccinées. Toutes les activités pourront donc être ouvertes à nouveau à toute la population, sans
qu’un passeport sanitaire soit nécessaire.
Dans ce contexte, aucune mesure conduisant à l’exclusion de la vie sociale de personnes nondétentrices
d’un passeport sanitaire ne pourra être considérée proportionnée au but
recherché, et partant, ces mesures doivent dans tous les cas être abandonnées. Enfin, il sied de
souligner que si le vaccin ne protège que partiellement les personnes qui le reçoivent, un
passeport vaccinal donnerait alors un faux sentiment de sécurité.
Dans les deux cas susmentionnés, à savoir si le vaccin protège efficacement, ou s’il ne protège
que partiellement, le bénéfice attendu du passeport vaccinal restera limité et ne justifiera en aucun
cas que l’on sacrifie l’intégrité physique (art. 10 al. 2 Cst et 5 de la Convention de sauvegarde des
droits de l’homme et des libertés « CEDH »), la liberté de mouvement (art. 10. al 2 Cst et 8 CEDH),
la liberté de réunion (art 22 Cst et art. 11 CEDH), le sacro-saint secret médical (art. 321 CP), la
protection de la sphère privée (art. 13 Cst et 8 CEDH ; 4 LPD) et surtout l’égalité de traitement
(art 8 Cst) et l’interdiction de discriminer qui en est l’émanation ultime (art. 8 al. 2 Cst et art. 14
CEDH). Sans compter la protection de ces données intimes, qui posera énormément de
problèmes concrets.
9 https://www.who.int/fr/news-room/feature-stories/detail/who-can-take-the-pfizer-biontech-covid-19--vaccine &
https://www.who.int/fr/news-room/feature-stories/detail/the-moderna-covid-19-mrna-1273-vaccine-what-you-need-toknow
4
Le taux de mortalité en lien avec la Covid-1910,11 est sans commune mesure
avec l’ampleur des restrictions infligées aux droits fondamentaux dans
l’hypothèse où un passeport vaccinal serait adopté.
A l’heure où maints gouvernements luttent contre la discrimination raciale, religieuse et de genre
afin de ne pas discréditer une minorité de la population, donner des avantages à certains citoyens
parce qu’ils sont vaccinés relève de la dissonance cognitive et d’une incohérence crasse, et
reviendrait à créer une société où seuls les vaccinés auraient des droits, et les autres viendraient
à revêtir les signes d’un passé sombre que nos aînés s’efforcent encore d’oublier.
Enfin, nous rappelons que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe dont la Suisse est
membre12, a adopté une Résolution en janvier dernier13 qui stipule à son article 7.3.1 qu’il faut
« s’assurer que les citoyens et citoyennes sont informés que la vaccination n’est pas
obligatoire et que personne ne subit de pressions politiques, sociales ou autres, pour se
faire vacciner, s’il ou elle ne souhaite pas le faire personnellement ».
L’article 7.3.2 dispose par ailleurs qu’il faudra « veiller à ce que personne ne soit victime de
discrimination pour ne pas avoir été vacciné, en raison de risques potentiels pour la santé
ou pour ne pas vouloir se faire vacciner ».
Cela ressemble dans les faits à une extorsion de consentement à la vaccination, laquelle n’est
par ailleurs pas obligatoire en Suisse14. L’Office fédérale de la santé publique (OFSP) ayant en
outre clairement spécifié, en juillet 2013, que la nouvelle loi sur les épidémies telle que
modifiée en l’an 2012 « ne prévoit pas de vaccinations sous la contrainte » et que
« personne ne peut être vacciné contre son gré »15. L’instauration de ce certificat sanitaire
constitue une obligation vaccinale déguisée !
On rappellera en outre que les vaccins à base d’ARNm qui sont actuellement administrés en
Suisse, et qui n’ont jamais été utilisés comme tels sur l’être humain auparavant, sont en phase
test, ce qui signifie qu’ils sont encore en phase d’expérimentation16. Il n’est partant pas
raisonnable d’exiger (directement ou indirectement) de tout un chacun qu’il se vaccine,
10Voir le taux de mortalité en Suisse en lien avec la Covid-19, selon les chiffres officiels de l’Office fédéral de la santé
publique sont disponibles dans le lien suivant https://www.bag.admin.ch/bag/fr/home/krankheiten/ausbruecheepidemien-
pandemien/aktuelle-ausbrueche-epidemien/novel-cov/situation-schweiz-undinternational.
html?fbclid=IwAR3awjxKEZxJH9MG5nESu6pCeCCtbuxDoQ46vaiTWGe-DbdzJVNdaLQjslw#782351821
https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/population/naissances-deces/deces.assetdetail.17004425.html
11 Voir Annexe 1- STATISTIQUE_MORTALITE_SUISSE_2015-2021_MA_ SEMAINE_17_Chiffres du_11.05.2021_
Volery.pdf
12 La Suisse est devenue la 17e membre du Conseil de l’Europe, le 6 mai 1963. Une des réalisations maîtresse du
Conseil de l'Europe est la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).
13 Voir art. 7.3.1 et 7.3.2 de la Résolution 2361 du 27 janvier 2021 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
14 Art. 22 Loi fédérale sur la lutte contre les maladies transmissibles de l’homme, RS 818.101 (LEp), du 28 septembre
2012.
15 Voir à ce sujet Nouvelle loi sur les épidémies, Questions et réponses, juillet 2013, Office fédéral de la santé publique
OFSP, Unité de direction Santé publique, sous la question « La nouvelle loi impose-t-elle des vaccinations sous la
contrainte ? », p. 2.
16 Le vaccin Pfizer-BioNTech est actuellement en phase 3 d’expérimentation, il est estimé que cette phase de test se
terminera le 6 avril 2023 ; voir à ce sujet le site web suivant : https://clinicaltrials.gov/ct2/show/NCT04368728 . Le vaccin
Moderna estime la fin de sa phase expérimentale 3 au 27 octobre 2022 ; voir à ce sujet le site web suivant :
https://clinicaltrials.gov/ct2/show/NCT04470427 .
5
autant d’un point de vue éthique, que juridique. Nous souhaitons rappeler
à ce sujet l’article 118b de la Cst qui prévoit qu’un « projet de recherche sur
l’être humain ne peut être réalisé que si la personne y participant a donné
son consentement éclairé ». Cette même disposition rappelle qu’un refus de
participer à une recherche sur l’être humain « est contraignant dans tous les cas ».
Dans ce contexte, contraindre les gens à se vacciner de manière directe ou indirecte, en les
empêchant d’accéder à certains lieux et services, voire en leur imposant des restrictions de
réunion ou de mouvement par le biais du carnet vaccinal ou par tout autre moyen, reviendrait à
violer cette disposition. D’aucune manière une personne ne peut être obligée de participer, surtout
par des pressions sociales directes ou indirectes, à une vaccination qui n’est pour l’heure qu’en
phase d’expérimentation.
Modification de la Constitution (art.139 et 142 Cst.)
En outre et à toutes fins utiles, nous rappelons à Mesdames et Messieurs les Conseillères et
Conseillers fédéraux, que ce « passeport sanitaire » s’il était par impossible adopté, constituerait
une modification des articles susmentionnés de la Constitution de 1999 entrée en vigueur
le 1er janvier 2000 et que cette dernière ne peut être modifiée qu’à la suite d’une votation
populaire à la double majorité des cantons et du peuple.
Le Conseil fédéral ou tout autre autorité qui mettrait en place ce « passeport » se substituerait de
facto au législateur, amputant ainsi de sa souveraineté le Peuple Suisse.
Conclusions
Nous sommes certains que ces principes fondamentaux sur lesquels l’État de droit repose, ne
vous auront pas échappés et que vous veillerez à les faire respecter.
Nous vous informons que nous restons attentifs à leur application et que nous n’hésiterons pas à
intenter des procédures si tel n’était pas le cas.
Aussi, nous vous serions très reconnaissants si vous pouviez répondre à toutes les inquiétudes
que nous avons soulevées plus haut.
Veuillez croire, Mesdames et Messieurs les Conseillères et Conseillers fédéraux, à l’expression
de nos respectueuses salutations.
Premiers signataires :
Henri Gendre, av.
Michelle Cailler, jur.
Johanna Sanz, av.
Audrey Voutat, av.
Youri Widmer, av.
6
Aurélie Dey, jur.
Rute Ruaz, jur.
Aziz Boussalem, jur. et économiste
Cosignataires :
Stéphanie Nanchen, av.
Anne Catherine Baudin, jur.
Laure Chappaz, av.
Clarissa Frankfurt, jur.
Luc Gervasoni, av.
Philipp Kruse, av
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